SANTOS ET LE MALAISE MILITAIRE EN COLOMBIE

Dans ce contexte psychologique et juridique trouble, un autre fait sanglant a augmenté le sentiment d’agacement des militaires à l’encontre du gouvernement de Juan Manuel Santos

Santos et le malaise militaire en Colombie

Dans ce contexte psychologique et juridique trouble, un autre fait sanglant  a augmenté le sentiment d’agacement des militaires à l’encontre du gouvernement de Juan Manuel Santos

Eduardo Mackenzie
Eduardo Mackenzie

Par Eduardo Mackenzie Institut d’Histoire Sociale, Paris

http://www.souvarine.fr/wordpress/?p=720

26 mars 2014

Le 17 mars dernier, deux jours après que le président-candidat Juan Manuel Santos, 62 ans, avait déclaré que prétendre vaincre les Farc est une «utopie», le général Jorge Segura, commandant de la troisième division de l’armée colombienne, qui mène en ce moment une offensive contre la guérilla communiste dans le sud du pays, objectait: «Les forces armées sont en train de gagner la guerre contre les Farc ».  Il n’a pas dit que c’était sa riposte  à la déclaration de Santos. Cependant, le ton et la proximité des deux énoncés  permet d’y penser.

Bien qu’à Bogota la presse reste très silencieuse sur les tensions entre le président  Santos et les forces armées,  ce phénomène est indéniable. La colère monte chez les militaires depuis que Santos a décidé d’ouvrir en octobre 2012 de très opaques  négociations « de paix » avec les Farc, à La Havane, sous le patronage des dictatures de Cuba et du Venezuela. Personne n’avait demandé à Santos d’ouvrir des négociations avec le narco- terrorisme, car son mandat était de continuer, au contraire, l’œuvre destinée à anéantir  et à rétablir la sécurité, lancée avec succès par son prédécesseur, le président Alvaro Uribe Vélez (2002-2010).

Mais Santos a pris un autre chemin. Il a promis que ces dialogues  apporteraient  la « paix définitive »  à la Colombie dans six mois. En fait, de tels contacts durent depuis plus  d’un an et demi et nul ne voit la fin du tunnel. Les sujets de discussion, spécifiques et limités au départ, sont devenus une série de thèmes dont nul ne sait où ils iront. Car tout est secret. Selon ce que la presse croit savoir, Santos est en train de négocier des changements stratégiques, à savoir le système économique, politique, social et militaire du pays.

Les Farc disent qu’elles ne livreront pas leurs armes, que leurs victimes ne seront pas indemnisées, qu’elles ne paieront pas un seul jour de prison pour leurs crimes. En revanche, elles exigent, parmi d’autres choses, plusieurs millions d’hectares de terres avec leurs populations (c’est ce qu’elles appellent élégamment les « zones de réserve paysannes ») pour y poursuivre leurs affaires, et avoir dans les villes une énorme infrastructure politique et médiatique (des sièges au Parlement, un journal papier, une radio et une télévision) pour diffuser leur idéologie  et leur rhétorique totalitaire. Ainsi, la négociation « de paix» ne consisterait pas à faire adhérer la subversion au système démocratique mais à forcer la Colombie à s’adapter aux ambitions des Farc. Une telle manipulation du sentiment de paix de la population rend furieux une grande partie des citoyens et des militaires, lesquels voient avec horreur la perspective de ce qui se dessine à Cuba.

Ce malaise s’est aggravé au début de février 2014. Un hebdomadaire colombien pro santiste a accusé le renseignement militaire d’être en train « d’espionner » les négociateurs de Santos dans le « processus de paix » à La Havane. Le magazine a affirmé avoir « trouvé » à Bogotá le bureau clandestin où les  militaires faisaient  ces interceptions « illégales ». Avant que l’enquête soit terminée, Santos a ordonné la démission et le transfert de plusieurs généraux, dont le général Leonardo Barrero, commandant des forces armées. Quelques jours plus tard, le gouvernement a signalé que l’accusation de la revue était inexacte et qu’il n’y avait rien d’«illégal» dans ces interceptions. Il n’empêche, Santos a réussi à désorganiser le groupe militaire qui surveillait les communications des Farc à Cuba, et a changé le haut commandement de l’armée et de la police. Une telle décision a été perçue comme une concession aux ennemis de l’armée, et Acore, la principale association de militaires à la retraite, a protesté. Le général Barrero avait dit à Santos qu’il ne pouvait  pas négocier la «réduction» de l’armée colombienne à La Havane, comme l’exigent les Farc.

Même un membre de l’équipe négociateur à Cuba, le général (r.) Jorge Enrique Mora Rangel, a fait savoir, en privé, qu’il n’était pas content avec la stigmatisation des  forces armées et avec l’arrivée de trafiquants de drogue connus à la «table de négociation». Le général Mora a insinué qu’il claquerait la porte du dialogue mais Juan Manuel Santos l’a dissuadé. Peu de temps après, on apprenait que le général Mora avait avoué au général Barrero que les deux principaux négociateurs de Santos, Humberto de la Calle et Sergio Jaramillo,  « se sont réunis avec les Farc pour discuter de certaines questions, sans que lui, Mora, n’ait été invité».

En même temps, le responsable  de l’un des partis qui collaborent avec le gouvernement Santos, a inquiété une nouvelle fois l’armée en proposant qu’une fois la paix signée, les Farc devront mettre en place une « garde nationale » pour  décharger l’armée de sa mission de surveillance des frontières  et des autoroutes. En fait, dans les régions frontalières, les Farc proposent aux habitants des deux pays d’établir des « comités anti impérialistes » pour lutter contre les accords militaires signés entre la Colombie et les États-Unis.

Juan Manuel Santos
Juan Manuel Santos

La force publique colombienne vit un cruel paradoxe. Depuis plus de cinq décennies, elle a dû faire face et vaincre plusieurs guérillas marxistes, organisées par l’URSS, la Chine maoïste et Cuba. Aujourd’hui elle doit se battre contre les deux dernières: les Farc et l’Eln, les bandes criminelles les plus sanglantes et prédatrices qu’ont connu les Amériques. Toutefois, le soutien moral et juridique que l’Etat colombien doit offrir à ses forces armées est faible. Les membres de la force publique ne peuvent pas voter aux élections et le budget de la défense a été très pauvre pendant 40 ans. C’est à partir de 2002 que ce budget  a commencé à être rééquilibré pour atteindre à présent un niveau acceptable. Pire encore : le gouvernement colombien continue de priver les forces armées du principal droit que les régimes démocratiques accordent à leurs forces de défense : la justice pénale militaire.

Cette grave faille juridique,  facilite le travail de sape du narco- terrorisme. Celui-ci organise des montages et des procès de harcèlement, presque toujours basés sur de faux témoins, cinq à dix ans après les faits, contre des milliers de militaires lesquels sont ainsi jetés en prison et précipités dans la misère. Tout cela affaiblit le moral des troupes et paralyse les meilleures unités de combat, sans que le pouvoir public s’en soucie particulièrement.

Les trois procès les plus absurdes,  gérés par des juges civils fanatiques qui ont violé toutes les règles de droit, affectent le général Jésus Armando Arias Cabrales et le colonel Alfonso Plazas Vega, condamnés à 35 et 30 ans de prison respectivement. Pourtant, ils sont les deux grands héros des forces qui ont vaincu l’attaque du M- 19 contre le Palais de Justice de Bogota, le 6 novembre 1985, dans laquelle les assaillants ont séquestré 350 magistrats, fonctionnaires et employés, tuant 42 d’entre eux et 11 militaires et policiers. Pourtant, aucun chef du groupe terroriste n’est allé en prison, contrairement à ces militaires qui ont sauvé 260 otages ce jour-là. Le troisième, le général Jaime Uscátegui, a été accusé de ne pas avoir empêché le massacre de Mapiripán, commis par une bande criminelle en 1997, alors qu’il n’était pas au courant de ces plans et qu’il n’avait pas le commandement des troupes de cette région-là. Tout cela est bien prouvé, mais le général a été condamné à 40 ans de prison en 2009, malgré qu’il ait été acquitté en 2007.

Au moment où j’écris cette note, Acore et  d’autres associations de militaires de réserve, ont lancé une campagne, devant le siège de l’OEA à Bogota, pour protester contre le «manque de garanties judiciaires contre le général Uscátegui et d’autres membres des forces militaires injustement poursuivis ».

Le 16 mars 2014, une station de radio à Bogota a indiqué que l’armée, dans un communiqué, a rejeté les accusations de la presse et a demandé des procès justes pour les militaires qui font l’objet d’une enquête judiciaire.

Dans ce contexte psychologique et juridique trouble, un autre fait sanglant  a augmenté le sentiment d’agacement des militaires à l’encontre du gouvernement de Juan Manuel Santos.

Le 16 mars, les Farc ont torturé et tué à Tumaco deux policiers non armés. Le major Germán Mendez et le patrouilleur Edilmer Muñoz  ont été attachés à un arbre et assassinés à coups de matraques et de couteaux. Le président Santos s’est contenté de critiquer ce crime et n’a pas suspendu les négociations à La Havane, alors que beaucoup de personnes l’exigeaient. Le ministre de la Défense  et un représentant de l’ONU, ont demandé aux Farc de livrer les tueurs des deux policiers. Les Farc ont justifié ce nouvel acte de barbarie et blâmé l’Etat.

Au regard de l’attitude de Santos, Oscar Ivan Zuluaga, du Centre Démocratique le principal parti de l’opposition et candidat à la présidence, a dit qu’il enverra une lettre au Procureur général de la Cour Pénale Internationale de La Haye sur « l’horrible assassinat» de ces deux policiers et a réaffirmé la nécessité de suspendre les négociations de paix. « Si le président veut un dialogue il devrait exiger la cessation de toute action criminelle »,  a t-il souligné.

Il existe des preuves que depuis La Havane, où elles dialoguent avec Santos, les Farc dirigent en même temps la guerre contre la Colombie. Le  6 mars dernier, le journaliste Ricardo Puentes a diffusé une conversation téléphonique dans laquelle Ivan Marquez, le négociateur en chef des Farc, a ordonné de faire exploser la bombe qui a tué un civil à Pradera, dans le département du Valle, le 16 janvier 2014, et blessant grièvement plus de 60 personnes. Un autre «négociateur» des Farc à La Havane, Rodrigo Granda, avait menti en niant que les Farc avaient commis ce crime. Le gouvernement Santos reste muet à propos de l’information de Ricardo Puentes.

« Que vont penser les milliers de soldats, les sous-officiers et les officiers qui risquent quotidiennement leur vie pour nous protéger contre les Farc? » a lancé un autre journaliste, Ricardo Galán, dans un commentaire sur les propos du président Santos qui a estimé que « prétendre éliminer complètement la guérilla Farc est une utopie et que cela prendrait encore 50 ans ». Galán a conclu : « A en juger par ses propres mots, le président Juan Manuel Santos n’a pas confiance dans les forces armées qu’il commande ».

Non, il n’a pas confiance, en dépit du fait que ces mêmes forces armées ont démantelé dans le passé  plusieurs guérillas et anti guérillas et qu’ils faisaient cela avec les Farc dont les chefs ont été contraints de se cacher dans les pays voisins. Cette attitude de Santos est peut-être due au fait que les forces militaires de Colombie sont légalistes (ils avaient fait seulement un coup d’Etat qui a duré quatre ans dans tout le XXe siècle) et qu’elles respectent le pouvoir civil malgré la négligence et les abus de celui-ci. Personne ne dit à présent qu’il y a des bruits de sabre en Colombie. Cependant, Santos pourrait  être en train de jouer avec le feu en prolongeant un jeu ambigu en soufflant le chaud et le froid  sur l’armée sans répondre sérieusement à leurs demandes de protection juridique et de transparence dans ses négociations avec les FARC et dans ses relations avec la tyrannie de Caracas.

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