COLOMBIE : SANTOS ET LA CAPITULATION DE L’ÉTAT

Face à ces inquiétudes de l’armée et de la police en Colombie, le silence du président Santos est quelque chose qui le rend indigne d’être réélu

Colombie : Santos et la capitulation de l’État

Face à  ces inquiétudes de l’armée et de la police en Colombie, le silence du président Santos est quelque chose qui le  rend indigne  d’être réélu. Cela se produit alors qu’au Venezuela le contrôle cubain vacille

Eduardo Mackenzie
Eduardo Mackenzie

Par Eduardo Mackenzie

20 février 2014

Tandis qu’au Venezuela la majorité du peuple est dans la rue en subissant la mitraille de Nicolas Maduro et en luttant pour mettre fin à l’expérience sanglante et ruineuse du chavisme, en Colombie éclatent une série de scandales visant à affaiblir les forces de sécurité et de défense du pays contre la menace castro-chaviste.

Après le faux départ de l’opération d’Andromède, qui a jeté par terre deux hauts officiers spécialisés dans le renseignement militaire, bien que la faute de ceux-ci n’ait pas été établie, nous assistons à présent à  la surprenante destitution du haut commandement militaire du pays pour des motifs  assez douteux. Ces scandales, qui ont éclaté en rafale, sont  à la fois suspects et à double fond : un scandale peut en cacher un autre. Il y a comme un jeu entre un scandale explicite, provoqué par une revue et par le chef du pouvoir  exécutif, et un autre que certains veulent rendre invisible.

Personne ne peut croire que le président Santos a limogé le général Leonardo Barrero, commandant des forces militaires, grand combattant contre les FARC dans le sud du pays, pour avoir  glissé en privé, en 2012, une petite phrase ridicule contre certains types de juges. Et pourtant, Santos, a choisi ce prétexte pour se débarrasser d’un haut responsable militaire. Santos lui-même a admis qu’il avait limogé le général Barrero pour avoir lancé une petite phrase. Ce faisant, le chef de l’Etat aurait commis un abus de pouvoir. Une telle démarche a dévoilé encore plus le président colombien. Pourquoi il a accepté de prendre ce risque en ce moment ? Pour refermer encore plus les portes de sa propre réélection ?

Nul n’est puni pour dire une phrase à une personne en privé. Certes, la phrase en question était idiote et même boiteuse, mais c’était juste une phrase. L’élément de la publicité a manqué. C’était un dérapage malheureux. Le général Barrero  parlait au téléphone avec un militaire détenu qui se plaignait d’irrégularités portées contre lui par le juge d’instruction. Barrero ne lui a pas donné un ordre, ni une instruction. Son acte n’entrait nullement dans le cadre de son service. Ce n’était pas non plus un acte d’insubordination. C’était un commentaire étourdi, qu’il a rejeté et pour lequel il a présenté ses excuses. C’était une phrase comme il s’en dit  des milliers chaque jour à tous les niveaux de l’Etat et du gouvernement, dans les couloirs des ministères, dans les mails et les conversations téléphoniques. Que celui qui n’a jamais pêché lui lance la première pierre.

Santos et la capitulation de l’État
Santos et la capitulation de l’État

Seulement voilà : la différence c’est que quelqu’un a écouté illégalement cette phrase, l’a disséqué, étudié et répété  à quelqu’un d’autre pour qu’elle soit envoyée (probablement en 2012) à la Commission d’Accusation de la Chambre des Représentants. Et il l’a sorti de nouveau  pour que l’hebdomadaire Semana la transforme en un fantôme menaçant, en un crime d’État, en  plein milieu de la campagne électorale.

Cette  revue a opté, comme elle en a l’habitude, de faire partie de cette sombre intrigue –peut-être n’a-t-elle  pas les moyens de dire non à cet opérateur secret- –  et elle a rédigé de façon outrée ce feuilleton. S’appuyant sur l’incommensurable fragilité institutionnelle du pays, elle a réussi à asséner  l’un des coups les plus injustes de ces dernières années contre les services de défense de Colombie.

Il est évident que ce mystérieux acteur doit avoir gardé des dizaines d’autres petites phrases indiscrètes de ses propres amis. Et qu’il attend une nouvelle opportunité pour les obliger à marcher dans ses combines et ses manipulations.

“Faites une mafia pour dénoncer ces juges et tout ces conneries” (sic). Comme cette phrase, télégraphique, aussi confuse que grossière, n’avait pas réussi à faire  renverser ce général en 2012, l’hebdomadaire y est allé de son article en l’écrivant d’une toute autre façon : en amalgamant l’amère conversation de Barrero avec le colonel Robinson Gonzalez, ce dernier étant détenu dans une prison militaire, comme si cette conversation faisait partie d’une autre thématique: les délits commis par d’autres personnes dans la signature de certains contrats de l’armée, en sachant que personne ne reproche rien au général  Barrero dans l’affaire des contrats. En d’autres termes : Semana, a rédigé sciemment quelques lignes tendancieuses pour montrer le général Barrero comme quelqu’un de corrompu, pour le faire tomber. Barrero a dénoncé cette manipulation dans son communique du 16 février 2014.

Cette affaire aurait pu se terminer avec des excuses. Pourtant, le président Santos l’a redimensionné. Pour quelle raison ? D’ailleurs, du point de vue humain, la phrase renferme un  certain sens. La phrase fait allusion, évoque, des juges anonymes, c’est à dire une certaine couche d’opérateurs judiciaires qui  sont la honte et le cauchemar de la justice colombienne. La phrase pointe le doigt contre eux et non contre tous les juges, car il y en a d’autres qui sont très honorables. Il signalait ceux des magistrats qui sont  corrompus, qui ont démoli la procédure régulière, qui fabriquent et  occultent des preuves, qui  acceptent de faux témoins, en particulier lorsque le justiciable est un militaire. Certains d’entre eux ont été limogés, d’autres ont fini en prison. D’autres sont en fuite. Mais d’autres sont toujours là, bien incrustés et en faisant le plus grand tort à la justice colombienne.

Au-delà de son aspect primaire, la phrase douteuse du général Barrero reflète, en plus, quelque chose de vrai : que les militaires en Colombie atteignent un niveau de saturation et de colère sans précédent en raison de l’abolition de la juridiction militaire, à cause des abus qu’ils subissent de la part de certains acteurs d’un Etat qu’ils  protègent et, surtout, à cause de  l’action subversive de certains juges, principaux promoteurs de ce que les militaires voient, à juste titre, comme une guerre judiciaire pilotée par le terrorisme, sans que le pouvoir central ne fasse rien contre cela. Ceci montre aussi que les officiers supérieurs se méfient du dit “processus de paix”  à La Havane. En fait, le général Barrero a interprété ce sentiment quand il a dit, avant-hier, qu’il espérait que l’armée colombienne ne sera  jamais “négociée à La Havane ou n’importe où ailleurs.”

Face à  ces inquiétudes de l’armée et de la police en Colombie, le silence du président Santos est quelque chose qui le  rend indigne  d’être réélu. Cela se produit alors qu’au Venezuela le contrôle cubain vacille. Pourquoi Santos, au lieu de renforcer la force publique, le seul mur de contention contre les FARC et le narco-terrorisme, l’enfonce-t-elle  dans une telle incertitude ?

Comme cette tambouille a été montée par Semana, laquelle encense avec ardeur la ligne de l’actuel gouvernement –au point que beaucoup considèrent cette revue comme l’organe du président Santos- –  la conclusion est évidente : l’attaque contre la stabilité du haut commandement militaire est venue probablement du gouvernement lui-même. Dans ces conditions d’incertitude morale, psychologique et institutionnelle, comment les Forces militaires peuvent-elles lutter avec succès contre les bandes armées du castro-chavisme et déjouer leurs opérations pour s’emparer du pouvoir? Avec un tel précédent comment le nouveau commandement militaire nommé par Santos va-t-il  se comporter?

Cette crise confirme ce que nous savions déjà: qu’à La Havane Santos n’est pas en train de négocier quoi que ce soit. Ce qui sort de Cuba, c’est tout autre chose : les parties sont déjà en train de faire ce qu’ils présentent comme des réformes futures appartenant au “post-conflit”. Santos dirige déjà un processus de capitulation de l’État. Ce n’est pas quelque chose que lui et les FARC feront plus tard. Ils le font déjà, malgré que personne n’ait rien su de ces pactes et que nul ne les a approuvés. Le lecteur pourrait examiner les textes qu’ont produits les “plénipotentiaires”. Les lire sous cet angle montre la cohérence de ce qui se passe actuellement. Les “parties” se sont engagées à faire ces choses en ce moment, en se moquant de la crédulité du peuple colombien et de son immense désir de paix.

Cette crainte pénètre déjà même les cercles santistes. John Marulanda, un analyste perspicace, a salué hier la décision brutale de Santos. Il a vu dans cela un acte de “nettoyage nécessaire qui renforce l’institution.” Cependant, avec un certain réalisme il a vu le fond du problème et a conclu : “J’espère que cette décision ne serait pas une excuse pour le futur démantèlement de notre armée nationale. Nul ne sait si elle est en train d’être négociée à La Havane, Cuba”. La peur est évidente dans cette phrase, mais cette concession aux FARC a déjà commencée. Elle est en train d’être mise en œuvre à coups de bâton, mais personne ne semble voir la manipulation. C’est à  cela que sert la propagande. A cela que sert Semana.

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